Mexique : des élections dans un contexte extérieur de plus en plus incertain

Réaction économique
Amérique du nord

Les Mexicains se déplaceront aux urnes le 1er juillet pour élire le Président de la République, mais également les membres du Congrès et un certain nombre d’élus locaux.

A quelques jours du scrutin, le candidat Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO) reste largement en tête des intentions de votes. Candidat d’une coalition de gauche, il présente un programme reposant sur la stimulation de la demande interne qui devrait dégrader à court terme les finances publiques du pays. Ces élections interviennent alors que le pays est confronté à des tensions croissantes avec son voisin américain. La remise en cause de l’ALENA, ainsi que l’introduction le 1er juin de nouveaux droits de douanes américains sur les importations en provenance du Mexique, ont attisé les craintes de voir l’activité industrielle mexicaine et plus largement la croissance économique se détériorer dans les trimestres à venir. La devise mexicaine a fortement reculé au cours des derniers mois, enregistrant une baisse de près de 15% face au dollar en deux mois. Ce nouvel épisode de dépréciation pourrait entraîner une résurgence des tensions inflationnistes, par le biais du coût des importations, ce qui a poussé la Banque centrale à reprendre les hausses de taux directeur lors de la réunion de politique monétaire de juin. 

« Les élections générales se dérouleront le 1er juillet, alors que l’économie mexicaine doit faire face à des incertitudes croissantes quant aux relations commerciales avec son partenaire américain »

Sébastien Berthelot

carte de chaleur basée sur 2 ans d'historique - Mexique

 

Le candidat de gauche AMLO se maintient en position de favori

« Le Président étant élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour, le candidat qui réunira le plus de suffrage dimanche 1er juillet succèdera à Enrique Pena Nieto »

Sébastien Berthelot

Près de 90 millions de Mexicains sont appelés à voter le 1er juillet pour élire leur nouveau Président, qui prendra ses fonctions le 1er décembre prochain, mais aussi pour renouveler la Chambre des députés (500 sièges), le Sénat (128 sièges) et désigner un certain nombre d’élus locaux. A quelques jours du scrutin, les sondages laissent relativement peu de place au suspense quant au nom du prochain Président mexicain. Crédité d’environ 45% à 50% des intentions de votes, le candidat de la coalition de gauche (Morena, Parti travailliste, PES), Andrès Manuel Lopez Obrador (appelé AMLO), distance d’une vingtaine de points ses concurrents. Le Président étant élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour, le candidat qui réunira le plus de suffrage dimanche 1er juillet succèdera à Enrique Pena Nieto (Parti Révolutionnaire Institutionnel, centre). Pour espérer rattraper leur retard, les poursuivants devront capter l’essentiel des indécis qui représentent encore 20% des personnes interrogées. Ricardo Anaya, candidat de la coalition droite gauche PAN-PRD-MC (Parti Action Nationale– Parti de la Révolution Démocratique– Mouvement Citoyen) est crédité d’environ 26%, tandis que Jose Antonio Meade, candidat du PRI et ancien ministre des finances de M. Pena Nieto, avoisine 20%.

M. Obrador, maire de Mexico de 2000 à 2005, a axé sa campagne sur la lutte contre la corruption, surfant sur le rejet de la classe politique actuelle. Son positionnement très à gauche, qualifié de populiste par ses détracteurs, s’est progressivement recentré au cours des derniers mois. Après avoir évoqué une hausse du salaire minimum de 15%, la gratuité de l’éducation et de la santé, AMLO s’est récemment engagé à maintenir des finances publiques saines, avec pour objectif un léger surplus primaire (déficit hors dépenses d’intérêts). Par ailleurs, il a tenu à rappeler qu’il respecterait l’indépendance de la Banque centrale, sujet qui sera scruté avec attention en décembre 2018 puisqu’un des cinq membres du Conseil des Gouverneurs devra être nommé par le Président élu, puis validé à la majorité simple au Sénat. A l’opposé, il défend l’interventionnisme en matière commerciale et entend soutenir les politiques de substitution aux importations. A ce titre, la construction de raffineries sur le sol mexicain fait partie de ses engagements afin de limiter la dépendance aux importations en provenance des Etats-Unis. Concernant le secteur pétrolier, s’il n’entend pas revenir sur la libéralisation décidée en 2014 par le gouvernement actuel, qui a mis fin au monopole de Pemex (entreprise publique) dans la production de pétrole, une renégociation des conditions des licences d’exploitation accordées aux entreprises privées pourraient intervenir. Mais l’essentiel de la plateforme du candidat de Morena repose sur un soutien de la demande. Elle prévoit notamment une relance de 500 Mds de Pesos (23 Mds€, soit 2,5% du PIB) afin de dynamiser le croissance dans le centre et le sud du pays. Ce plan comprend notamment des dépenses d’infrastructures de transport, visant à favoriser l’industrie et l’agriculture. Engagé à ne pas augmenter la pression fiscale, et à stabiliser la dette en maintenant un surplus primaire en 2019, le candidat envisage de financer la hausse des dépenses par une meilleure efficience de l’administration publique et par la lutte contre la corruption, dont il estime le coût à environ 480 Mds de Pesos par an. Il est néanmoins fort probable que les bénéfices de ces initiatives n’interviennent qu’à long terme, ce qui pousse à envisager une détérioration des comptes publics à court terme en cas d’application du programme économique du candidat de Morena.

Au-delà de la Présidence, l’enjeu de l’élection sera la composition du Congrès et donc la capacité du nouvel élu à appliquer ses réformes. Aucun Président n’a disposé de la majorité dans les deux Chambres depuis 1997, lorsque le PRI a perdu son hégémonie historique. En dépit de l’avance de son candidat dans les sondages à titre personnel, la coalition de gauche ne semble pas assurée d’obtenir la majorité au Congrès. Si l’on croit les sondages publiés en juin, une majorité à la Chambre Basse est envisageable, mais les chances de l’atteindre au Sénat sont assez faibles. Or l’adoption du budget et donc du niveau de déficit, nécessite l’approbation des deux Chambres du Congrès. Notons tout de même que la loi de dépenses est de la responsabilité uniquement de la Chambre Basse. Si elle obtient une majorité de députés, la coalition de gauche serait donc en mesure de réorganiser les dépenses du secteur public, à défaut de les augmenter sans financement. Il est également envisageable, de voir des députés de partis compatibles idéologiquement, tels que ceux du PRI et du PRD, rejoindre les rangs de Morena afin de former une majorité de coalition.

Intentions de votes aux élections présidentielles mexicaines (% des intentions de vote)

 

Des incertitudes commerciales qui pourraient pénaliser l’activité

« Les véhicules routiers représentent un quart des exportations mexicaines à destination des Etats-Unis »

Sébastien Berthelot

Les élections du 1er juillet interviennent dans un contexte de fortes tensions avec le principal partenaire commercial du pays. Avec une part de 80% des exportations mexicaines à destination des Etats-Unis, la récente dégradation des relations avec l’administration Trump ne sera pas sans conséquence pour l’activité mexicaine.

La décision des Etats-Unis d’appliquer des droits de douanes au 1er juin sur les importations d’acier (25%) et d’aluminium (10%) en provenance du Mexique ont nettement réduit les chances de voir aboutir à court terme les renégociations de l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA). Les pourparlers débutés en août 2017 avaient fini par connaître des avancées en mars 2018 lors du 7ème round de négociation entre le Mexique, le Canada, et les Etats-Unis. Avec 9 chapitres approuvés sur les 30 constituant l’accord, et des progrès significatifs sur 10 autres, l’optimisme était alors de mise quant à un accord de principe d’ici la fin mai, mais les négociations ont finalement achoppé, notamment sur la question de la règle d’origine dans le secteur automobile. Cette règle fixe la part de contenu d’un bien à partir de laquelle il est considéré comme ayant été produit au sein de l’ALENA et doit donc bénéficier d’un régime douanier préférentiel. Pour les automobiles, l’administration américaine exigeait de faire passer ce seuil de contenu de 62,5% à 85%, ce qu’ont rejeté le Mexique et le Canada. Autre sujet de discorde, la volonté américaine de renégocier l’ALENA tous les 5 ans. En l’absence d’entente des 3 pays, l’accord prendrait immédiatement fin (clause dite de « sunset »). Enfin, l’administration américaine souhaite remettre en cause les tribunaux d’arbitrage indépendants pour le règlement des litiges entre une entreprise et un Etat membre.

Mexique : Balance commerciale par produits avec les Etats-Unis (Mds $, valeur, NAVS)

A l’instar de Donald Trump, le candidat AMLO adopte une position ferme sur le volet de la renégociation de l’ALENA. S’il a affiché sa volonté de dialogue, il privilégie toutefois une solution sans accord, plutôt qu’un accord non satisfaisant. En ce sens, l’éventuelle élection du candidat de Morena pourrait réduire davantage les chances de voir aboutir les négociations entre des parties qui considèrent leurs intérêts comme antagonistes.

Suite à l’annonce américaine du 1er juin, le gouvernement mexicain de M. Pena Nieto a annoncé des mesures de représailles avec la mise en place de droits de douanes de 25% sur les produits en acier, 20% sur le porc et les pommes, ou encore 25% sur le bourbon américain. Le ministre de l’économie mexicain estime que le montant d’importations concernées s’élève à 3 Mds$, soit 1,5% des importations en provenance des Etats-Unis. Ce montant est comparable à celui des importations américaines d’acier et d’aluminium en provenance du Mexique (2,8Mds$ en 2017) et reste relativement restreint. Mais le dossier ouvert le 23 mai par l’administration Trump pourrait être autrement plus pénalisant pour l’économie mexicaine puisqu’il est en mesure d’aboutir à une hausse des droits de douanes de 25% sur les importations d’automobiles. Le département américain a ouvert le 23 mai une enquête visant à évaluer si les importations de véhicules constituent une menace pour la sécurité nationale. Cette démarche s’appuie sur la loi sur le commerce de 1962, section 232, qui a été utilisée dans le cas de l’acier et de l’aluminium. Les véhicules routiers représentant un quart des exportations mexicaines à destination des Etats-Unis, l’application effective de telles mesures tarifaires serait très préjudiciable pour l’activité industrielle mexicaine et plus largement pour sa croissance économique.

Mexique : Exportations vers les Etats-Unis par produits (valeur)

 

Le recul du Peso ravive les craintes de tensions inflationnistes

« La Banque centrale mexicaine qui restait sur deux décisions de statu quo consécutives a décidé de relever de nouveau son taux directeur de 0,25% en juin »

Sébastien Berthelot

Les menaces que font peser la redéfinition actuelle de la politique commerciale américaine sur l’activité mexicaine ont eu un impact significatif sur la devise mexicaine. Entre mi-avril et mi-juin, le Peso a ainsi reculé de près de 15%, touchant le niveau de 20,7 Pesos pour un Dollar, avant de repasser sous la barre des 20 Pesos à quelques jours de l’élection. Le mouvement récent s’inscrit également dans un recul généralisé des devises émergentes face au dollar en lien avec le resserrement de la politique monétaire américaine. Il peut aussi être l’expression des incertitudes que soulèvent les élections du 1er juillet.

Cette chute du Peso a ravivé les craintes de tensions inflationnistes. Le précédent épisode de dépréciation de la monnaie mexicaine, intervenu fin 2016 avec l’élection de Donald Trump, avait amené la devise à près de 22 Pesos pour un Dollar et poussé l’inflation à près de 7% en rythme annuel sur la fin d’année 2017, par le biais de la hausse du coûts des biens importés. La libéralisation de certains prix administrés (carburants) décidée au 1er janvier 2017 avait également joué un rôle important dans cette accélération. La Banque centrale mexicaine, dont la cible d’inflation se situe à 3%, a réagi drastiquement en faisant passer son taux directeur de 4,75% en octobre 2016 à 7,5% en février 2018. Un tel resserrement monétaire, couplé à la forte hausse des prix, a eu un impact significatif sur la demande intérieure mexicaine. Les ventes au détail en volume ont ainsi vu leur rythme de croissance annuelle passer de 10% en décembre 2016 à –1,2% en décembre 2017, avant de progressivement se redresser au cours du premier trimestre 2018.

Face au nouvel épisode de baisse du Peso, la Banque centrale mexicaine qui restait sur deux décisions de statu quo consécutives en avril et en mai a décidé de relever de nouveau son taux directeur de 0,25% en juin, le portant à 7,75%. Cette décision permet de renforcer l’engagement des autorités monétaires à maîtriser l’inflation, dans un contexte d’incertitudes liées aux élections et aux tensions sur les tarifs douaniers qui pourraient renforcer le prix des importations. La politique monétaire devrait donc maintenir son caractère restrictif dans les mois à venir, et constituer un frein pour la croissance économique du pays à court terme.

Mexique : Inflation (GA%)

 

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Rédigé par

Sébastien Berthelot

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