"Le regard de l’analyste" - Les nombreux défis de l’eau ultrapure dans l’industrie des semiconducteurs.
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Les technologies de traitement de l’eau sont conçues pour séparer ou éliminer les impuretés présentes dans l’eau, telles que les matières solides (sable, déchets, terre, etc.), les organismes vivants (bactéries, virus, etc.) et les gaz (oxygène, dioxyde de carbone).
En fonction de l’usage final souhaité, auquel est associé un niveau de qualité, il convient de ramener la concentration des impuretés à certain seuil, voire d’en éliminer certaines spécifiquement. C’est un processus relativement complexe, ces impuretés étant présentes à des niveaux et états variés (solides/dissolus).
Ainsi, les chaînes de retraitement sont généralement bâties en système personnalisé associant plusieurs technologies. Ces dernières peuvent toutefois se subdiviser en trois grandes catégories : les solutions mécaniques (flottations, filtres, membranes, etc.), les solutions chimiques (résines d’échanges ioniques, etc.), et les solutions hybrides/autres (rayons ultraviolets, électrodialyses, etc.).
Les sédiments, micro-organismes et autres matériaux flottants peuvent être séparés relativement facilement par filtration, coagulation ou flottation en raison de leurs propriétés physiques différenciantes (densité, taille). Les impuretés dissoutes ou microscopiques requièrent des solutions ayant des capacités de séparation plus avancées, telles que des membranes ultra filtrantes/à osmose inversée ou par réactions chimiques via des résines
échangeuses d’ions. Enfin, lorsque la séparation n’est pas ou plus réalisable, il est possible de recourir à des solutions de purification, comme la stérilisation (par rayons Ultraviolet) ou l’élimination des gaz (par dégazeurs à vide).
La qualité de l’eau est déterminée à l’aide de deux principales mesures (1) le niveau de conductivité à l’électricité, qui décroît à mesure que la qualité
s’améliore, jusqu’à la limite théorique d’une résistivité de 18,2 ohms et (2) le niveau concentration des impuretés/substances présentes, mesurer en gramme par litre. On distingue ainsi quatre grandes catégories : les eaux de rivières (niveau d’impuretés ~1 g/L), les eaux du robinet (niveau d’impuretés ~300 mg/L) les eaux pures (niveau d’impuretés ~3 μg/L) et les eaux ultra pures avec une concentration d’impuretés inférieure à 3 ng/L.
Précisons cependant que cette dernière catégorie est protéiforme, et recouvre en réalité des normes et qualités différentes selon les applications industrielles envisagées. Par exemple les énergéticiens ont recours à l’eau ultrapure pour faire tourner certain type de turbines et la priorité réside dans l’absence de molécules corrosives. A l’inverse, l’industrie pharmaceutique l’utilise dans la conception de médicaments ou dans la culture de cellules. Ainsi, c’est l’absence de contaminant, micro-organisme et virus qui fait l’objet de toute les attentions. Mais de toutes les industries, c’est parmi les fondeurs de semiconducteurs que le niveau d’exigence est le plus élevé.
D’un point de vue économique, la présence de particules, même infimes, peut entraîner des défauts critiques dans la nanostructures des puces, compromettant ainsi le rendement des usines et engendrant des coûts supplémentaires. Dans un secteur aussi compétitif, où la rapidité de mise sur le marché est primordiale, toute défaillance entraîne nécessairement d’importantes répercussions sur les marges.
D’un point de vue opérationnel, la production d’eau ultrapure implique plus d'une douzaine d'étapes (dont certaines plusieurs fois répétées) et requiert une quantité d’eau considérable puisqu’il faut compter environ 6 000 litres d'eau du réseau pour obtenir 3 800 litres d'eau ultrapure. Dans le même temps, en aval, une grande usine de semiconducteurs peut consommer jusqu'à 18 millions de litres d'eau par jour, soit une quantité peu ou prou équivalente à la consommation annuelle d'une ville de 60 000 personnes.
Enfin, d’un point de vue environnemental, le traitement des eaux usées est un défi majeur, en raison de la volumétrie à traiter et de la présence de nombreux polluants (comme l'ammoniaque ou le phosphate). En outre, les grandes fonderies comme Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, Samsung et Intel se doivent de mettre en œuvre des systèmes de réutilisation et/ou de recyclage en raison de l’échelle de production. La consommation en eau étant tellement importante que sans ces derniers, les usines seraient tout simplement à l’arrêt. D’ici à la fin de la décennie, Intel vise par exemple un usage net positif de l'eau à l'échelle mondiale, tandis que Micron, ambitionne de réutiliser jusqu’à 75 % de ses prélèvements en eau. Dans le même temps, le retour du politique soucieux de sécuriser ses approvisionnements en puces électroniques, a provoqué la relocalisation accélérée des sites de production et impose aux collectivités locales d'anticiper et de planifier les besoins en eau associés. En témoigne, les états de New York ou d'Arizona qui ont d’ores et déjà mis en chantier d’importants projets d’infrastructures hydrauliques pour accompagner ces développements. Ces évolutions, qui s'intègrent dans la tendance plus globale de régionalisation du monde, constituent l'un des axes d'analyse de nos Perspectives Economiques et Financières.
Rédigé par
Félix LAROCHE
Analyste financier et extra financier