"Le regard de l’analyste" - Les pharma seront-elles une cible à portée d’atteinte de la nouvelle administration Trump ?
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Entre déclarations explicitement anti-laboratoires et nomination polémique mi-novembre du nouveau Secrétaire du département de la Santé et des Services sociaux (HHS) : les pharma seront-elles une cible à portée d’atteinte de la nouvelle administration Trump ?
Leaders mondiaux dans le développement de nouveaux traitements, les Etats-Unis sont le premier pays en termes d’innovation des Biopharma. Les innovations sont largement soutenues par des investissements publics généreux (50,1Mds$ de budget en 2025 pour le National Institutes of Health). S’ils sont champions de la recherche, les fruits ne bénéficient pas nécessairement aux américains. La libre fixation du prix des médicaments, un des mécanismes chers aux fondamentaux du système économique libéral, se pratique dans un système opaque, notamment compte tenu des multiples intermédiaires. Aussi, l’accessibilité aux traitements médicaux est de longue date un sujet au cœur des préoccupations des électeurs américains.
A la suite de son élection, D. Trump a nommé R. F. Kennedy Jr., une personnalité publiquement peu favorable aux produits chimiques, à la tête du HHS, la position la plus élevée en charge de la santé. Sa feuille de route a été rapidement annoncée. Partisan d’une forte baisse des prix des médicaments coûteux, il veut promouvoir les traitements des maladies chroniques ainsi que les traitements non médicamenteux, avec des premiers résultats concrets attendus sous deux ans. Pour ce faire, R. F. Kennedy Jr. contrôle les 3 principales agences de santé : le Centre de contrôle des maladies (CDC) chargé de suivre l’évolution des problématiques générales de santé, la Food and Drug Administration (FDA), en charge notamment d’approuver les médicaments et le National Institutes of Health (NIH) organisme public subventionnaire de la Recherche en santé. En réaction à sa nomination, les cours des valeurs pharmaceutiques ont immédiatement baissé.
Depuis les années 90 et les premières tombées de brevets de médicaments vedettes, les laboratoires se sont massivement spécialisés dans la R&D de traitements de pointe : thérapies géniques et cellulaires, maladies rares, nouvelles thérapies en oncologie. Ces recherches sont particulièrement longues et coûteuses, aussi, le pipeline des futurs médicaments de ces sociétés se déploie à un horizon bien supérieur aux 4 années d’un mandat présidentiel. Si déjà en 2019, Trump s’en était largement préoccupé dans son projet American Patient First, ce qui a changé à la fin d’année 2024 c’est, d’une part, une équipe exécutive (encore dans l’attente de validation par le Congrès) qui se veut plus volontariste, et d’autre part, la pression enclenchée sur la tarification. Mise en place par la précédente administration dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, les nouvelles règles d’encadrement des prix d’une liste des 10 médicaments les plus utilisés, entreront en vigueur début 2026, avec des baisses de prix importantes, comprises entre 40 et 80%.
L’argument principal de l’industrie, opposée à cette mise en oeuvre est que cela pénaliserait directement la Recherche et l’Innovation. Le changement de perception des priorités des dirigeants des grands laboratoires semble se matérialiser. Dans une enquête publiée par le cabinet Deloitte, on note qu’en 2022, 95% des dirigeants du secteur Biopharma interrogés ont déclaré que le développement de thérapie nouvelle génération et produits innovants était une priorité absolue pour 2023 contre seulement 20% en 2023 pour l’année 2024. Aussi, avec des budgets possiblement réduits à l’avenir, les laboratoires seraient davantage dépendants de la recherche publique et privée.
Aux États-Unis, cet écosystème particulièrement vaste et dynamique, est notamment financé par le NIH, une des agences contrôlées par R.F. Kennedy Jr. Si l’organisme public ne finance pas directement les grands laboratoires, il s’adresse plutôt à leur futur vivier – des petites biotech. Si le Secrétaire du HHS ni même le Président n’ont le contrôle des budgets, à la main du Congrès, le NIH reste un organe exécutif, et les subventions sont accordées à discrétion de chaque Directeur d’Institut de recherche. Compte tenu de l’inertie propre aux fonctionnement des subventions publiques – validées pour une période de 3 à 4 ans, aucun changement ne pourrait être visible à court terme. Historiquement, les budgets alloués à chaque grande divisions (Centres Nationaux de recherche pour le cancer, le diabète…) restent stables malgré l’alternance politiques – à la marge, le Congrès et le Président peuvent donner des avis et recommandations assez larges, comme un montant minimum garanti pour une cause particulière. Les changements notables correspondent davantage à des stratégies de santé d’enjeu public (exemple de la hausse des moyens accordés au National Institute of Allergy and Infectious Diseases durant la pandémie) et ont été financés par des augmentations globales du budget du NIH, plutôt que par un arbitrage entre centres de recherche. Aussi, dans le cadre du suivi de nos Perspectives Économiques et Financières, nous serons attentifs quant à la capacité des laboratoires à maintenir une liste de médicaments en développement dynamique, sous des contraintes futures de budget plus fortes et de possibles opportunités d’acquisitions qui pourraient se faire plus rares à un horizon plus long terme.
Rédigé par
Laurence COLDREY
Analyste financier et extra financier