"Le regard de l'analyste " : les sogo shosha : un bouclier pour la sécurité des approvisionnements Japonais ?
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Les cinq grandes maisons de négoce japonaises, ou sogo shosha — Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Itochu et Marubeni — sont au cœur de l'histoire économique de l’archipel.
Les cinq grandes maisons de négoce japonaises, ou sogo shosha — Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Itochu et Marubeni — sont au coeur de l'histoire économique de l’archipel. Issues de la réorganisation des conglomérats d'avant-guerre (zaibatsu), elles ont été le moteur du miracle économique japonais d'après-guerre. Pour une nation insulaire dépourvue de ressources, leur mission était vitale : servir de pont stratégique entre le Japon et le reste du monde, afin d’assurer l'approvisionnement en énergie, métaux et denrées alimentaires indispensables aux usines et à la population. Leur modèle allait bien au-delà de la simple intermédiation. Leur rôle était crucial, notamment pour les petites et moyennes entreprises, qui, par manque de capital, ne pouvaient se permettre de construire un réseau d’approvisionnement/de distribution à grande échelle. Les sogo shosha devenaient alors indispensables en leur fournissant l'intelligence économique, les solutions logistiques et les facilités de financement nécessaires pour mener à bien une expansion internationale.
Du courtage à l'investissement stratégique.
À l'origine, les sogo shosha investissaient pour des raisons commerciales plutôt que financières. Le but était de sécuriser des ressources essentielles en obtenant des droits de distribution exclusifs. Ainsi, financer une mine de fer en Australie était un moyen de garantir l'approvisionnement pour les aciéristes japonais, la performance de l'actif n’étant qu’un critère secondaire. Le modèle des sogo shosha a cependant basculé à mesure que les revenus issus du négoce perdaient leur rôle de moteur économique, une transition brutalement accélérée par la crise financière des années 1990. Confrontées à l'érosion de leurs sources de profit traditionnelles, elles furent contraintes de se réinventer, ce qui se traduisit par une autonomie croissante des décisions d'investissement, les convertissant de fait en sociétés d'allocation de capitaux.
Bien que protéiforme, la transformation des sogo shosha en sociétés d'investissement, s'est toujours appuyée sur une logique unificatrice : l'intégration verticale des chaînes de valeur. Un exemple emblématique est celui d’Itochu dans le secteur alimentaire. Cette dernière est aujourd’hui présente "de la ferme à l'assiette" du consommateur. Elle détient des participations, en amont dans des producteurs comme HyLife (porc), contrôle la transformation et l'importation (via Prima Meat Packers), et vend ses produits finis en aval dans ses propres supérettes (FamilyMart).
Au coeur de la nouvelle géopolitique des ressources.
Face aux enjeux de sécurité énergétique et dans un contexte où la transition écologique dépend des métaux critiques, le Japon peut ainsi s’appuyer sur ses sogo Shosha. Fortes de leurs positions historiques, plusieurs de ces maisons ont conservé des portefeuilles toujours très exposés aux matières premières. Pour Mitsubishi, Mitsui et Sumitomo, c’est par exemple plus de 50% du résultat net qui provient directement des ressources naturelles et/ou de l'énergie.
Parallèlement, les sogo shosha se positionnent sur les technologies de demain en investissant sur toute la chaîne de valeur de l'énergie décarbonée. Cette stratégie se matérialise par des prises de participation ciblées, telles que celle de Mitsui dans le producteur d'hydrogène Norwegian Hydrogen et s'étend jusqu'à la création de filières d'envergure mondiale, comme l'illustre la collaboration de Mitsubishi avec CF Industries aux États-Unis pour construire la plus grande usine d'ammoniac vert au monde.
Dans le monde que nous décrivons au sein de nos Perspectives Economiques et Financières, caractérisé par la régionalisation et le retour du Politique soucieux de sécuriser ses approvisionnements, le modèle des sogo shosha semble retrouver toute sa pertinence. Acteurs historiques, avec une expertise unique qui les place au cœur des stratégies de résilience de demain.
Rédigé par

Felix LAROCHE
Analyste