"Le regard du gérant" : La course à l’ordinateur quantique

Le Point de vue de l'expert

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Après l’intelligence artificielle, une nouvelle frontière technologique se dessine : l’informatique quantique.

Contrairement aux machines traditionnelles qui manipulent des bits prenant la valeur 0 ou 1, les ordinateurs quantiques se servent de qubits, capables de prendre la valeur 0, 1 mais aussi une combinaison des deux. Cette propriété appelée superposition, combinée à celle de l’intrication (le fait que deux qubits soient liés quelque soit la distance, leur permettant de travailler ensemble), permet des calculs massivement parallèles et ainsi de résoudre en quelques secondes des problèmes que les ordinateurs classiques mettraient des siècles à traiter.

Concrètement, un ordinateur quantique explore tous les chemins possibles d’un labyrinthe en une seule fois, quand un ordinateur classique les teste les uns après les autres. Restée longtemps à l’état de recherche fondamentale, la technologie quantique sort peu à peu des laboratoires. Le principal obstacle qui résidait dans l’augmentation du nombre de qubits (en quelque sorte la puissance de calcul) tout en maîtrisant le taux d’erreur commence à être levé.



De très grandes entreprises comme Google et Microsoft mais aussi des plus petites comme Quandela, IonQ ou Alice & Bob multiplient les percées avec comme objectif d’atteindre la suprématie quantique, ce moment où un calcul devient impossible à reproduire par un ordinateur classique.  La plupart des acteurs ont mis en place une feuille de route technologique laissant entrevoir les premières applications commerciales à l’horizon 2030. L’arrivée du quantique aurait plusieurs implications. D’abord technologique, les modèles d’intelligence artificielle reposent sur les puces de calcul GPU très consommatrice d’énergie et qui pourrait créer à terme des situations de tension sur les réseaux électriques. Les puces de calcul quantique pourraient fournir des puissances de calcul supérieures pour une fraction du coût énergétique. Le quantique est aussi devenu un enjeu de souveraineté : l’infrastructure quantique ne repose pas sur la même chaîne de valeur que celles des semiconducteurs dont Taiwan et les États-Unis ont la maitrise. Le quantique remettrait en cause complètement les dominances technologiques de ces pays. Ce qui pousse la plupart des États à mettre en place des grands programmes de financement pour soutenir le secteur. Le programme européen « Quantum Flagship » doté de plus d’un milliard d’euros vise ainsi la mise en place d’un écosystème européen. C’est aussi un enjeu de sécurité : le quantique pourrait résoudre en quelques minutes les algorithmes de sécurité les plus poussés, jusqu’à ceux du bitcoin lui-même ! C’e sont aussi des enjeux dans la recherche : la capacité de simuler des molécules ou des réactions chimiques pourraient bouleverser la recherche pharmaceutique ou celle du secteur chimique. Cela pourrait accélérer la découverte de nouvelles molécules, de nouveaux alliages ou de nouveaux engrais et ouvrir ainsi la voie à une véritable ruée vers l’or des propriétés intellectuelles. Plusieurs incertitudes restent encore pour accélérer la diffusion de la technologie.
D’abord des défis technologiques, les acteurs doivent montrer leur capacité à réaliser leur feuille de route et la supériorité de leur architecture : supraconducteurs, photoniques, ions, topologiques … Ensuite, des défis industriels comme l’interconnexion des modules quantiques entre eux et aux infrastructures de calcul classique.

Enfin financier, les entreprises devront être en capacité de démontrer des cas concrets d’application qui puissent justifier la poursuite des financements. Mais si ces verrous sont levés, le quantique pourrait représenter un changement de paradigme comparable à celui du transistor dans les années 1950. En redéfinissant la hiérarchie de la puissance de calcul, il rebattrait les cartes entre géants du numérique et nouveaux entrants.

Rédigé par

Stéphane DARRASSE
Gérant Actions Internationales