"Le regard de l’analyste" - Quand les fonds publics courtisent les capitaux privés

Perspectives Économiques et Financières

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Suite à la reconstruction des pays européens à travers le plan Marshall, le périmètre de l’aide internationale s’est progressivement élargi. Aujourd’hui, l’aide publique au développement (APD) comprend l'ensemble des apports financiers des organismes publics aux pays bénéficiaires listés par l'OCDE.

Le « financement mixte » (ou « Blended Finance ») correspond à l’utilisation de capitaux catalytiques provenant de sources publiques ou philanthropiques pour accroître les investissements du secteur privé dans les pays en développement, notamment dans le but de réaliser un ou plusieurs Objectifs de Développement Durable (ODD). Dans de nombreux cas, ces fonds publics sont dits « concessionnels », autrement dit fournis à des conditions inférieures à celles du marché lors de la structuration de la transaction financière, afin de réduire le coût global du capital pour l'emprunteur ou encore pour fournir une protection supplémentaire aux investisseurs contre les pertes. Le financement mixte permet ainsi à des organisations ayant des objectifs différents d'investir les unes à côté des autres tout en atteignant leurs propres objectifs (qu'il s'agisse de rendement financier, d'impact environnemental/social ou d'un mélange des deux).
 

Après un plus bas depuis 10 ans en 2022 du montant de financement mixte à l’échelle mondiale, un rebond a été observé en 2023 (+71%), atteignant un plus haut depuis 5 ans (cf. graphique ci-dessus). La raison ? La COP28, au cours de laquelle la question du financement mixte pour l’action climatique a beaucoup été abordée, marquant un élan dans l’annonce de transactions importantes. Parmi ces dernières, le SDG Loan Fund, un véhicule d'investissement de 1,1 milliard de dollars pour promouvoir les ODD sur les marchés émergents et frontières1.
La structure de financement mixte de ce fonds permet à des investisseurs institutionnels de co-investir dans un portefeuille de prêts qui soutiennent les institutions financières et les intermédiaires au service des petites et moyennes entreprises dans les pays à revenus faibles et modérés d'Amérique latine, d'Asie, d'Afrique et d'Europe de l'Est.

L’objectif de long terme du financement mixte est de créer des marchés commercialement viables, sans nécessité d’atténuer les risques ou d’améliorer le rendement pour attirer les investissements privés. Créé en 1991 par la Banque mondiale, le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM, en anglais « Global Environment Facility ») représente l’initiative de financement mixte par excellence. A cette période, l'atténuation du changement climatique était une priorité émergente pour les institutions financières internationales, mais les secteurs des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique et des transports verts présentaient des coûts d’investissement trop élevés. En collaboration avec des banques multilatérales de développement telles que la Banque mondiale, le FEM a commencé à fournir des fonds concessionnels susceptibles d'attirer les investissements privés. Cette combinaison a permis d'obtenir des profils rendement/risque acceptables à la fois pour les banques multilatérales de développement et pour les investisseurs privés, et de créer un registre de projets d'énergie propre et d'efficacité énergétique « investissables » dans les pays en développement.
 

À mesure que les projets d'énergie propre et d'efficacité énergétique deviennent rentables, le rôle du FEM en termes de promotion et de réduction des risques se déplace petit à petit vers le financement de la conservation et de la gestion des ressources naturelles, où les risques sont encore perçus trop élevés pour être financés uniquement par le secteur privé. Avec le soutien du FEM et de la Banque mondiale, la République des Seychelles a lancé en 2018 la première « obligation bleue » souveraine au monde pour soutenir des projets durables dans le domaine de la mer et de la pêche. En bénéficiant d'une garantie de 5 millions de dollars de la Banque mondiale et d'un prêt concessionnel de 5 millions de dollars du FEM, cette obligation est parvenue à lever 15 millions de dollars auprès d'investisseurs internationaux.
 

Cependant, le secteur de l’énergie reste encore le segment le plus actif du marché des financements mixtes, comptabilisant près d’un tiers du nombre de transactions et 47% du total des flux de capitaux mixtes en 2023. Le financement mixte de l'énergie a été l'un des rares à résister au chocs économique de la pandémie de COVID-19 et aux défis macroéconomiques mondiaux qui ont suivi. Les réserves de projets à des niveaux stables, les modèles commerciaux normalisés, l'offre croissante de financements concessionnels et les besoins importants en capitaux des pays émergents engendrent un financement mixte de l'énergie qui prend de l'ampleur. Cela confirme la vision que nous exprimons dans nos Perspectives Economiques et Financières, selon laquelle l’énergie fait partie des secteurs bénéficiant des changements structurels économiques, monétaires, politiques et géopolitiques.
 

Le financement mixte doit être vu comme une rampe de lancement vers des approches de marché pour financer les besoins de développement. La transparence des performances financières ex-post permet d’estimer la viabilité des financements mixtes ; un exemple de succès est la diminution du recours au système de concession au fil du temps, remplacés par une augmentation des investissement privés.

 

1Les marchés « frontières » sont des marchés « pré-émergents ». Le classement MSCI Frontier Markets liste 27 pays, dont notamment le Vietnam, le Maroc, le Kenya, la Roumanie ou encore le Bahreïn.

Rédigé par
Andréa Lemaire Suau

Andréa LEMAIRE-SUAU
Analyste financier et extra financier